Bonjour,
C'est vrai, l'Islande a plusieurs projets importants qui vont avoir un impact sur certains sites naturels. C'est vrai aussi que ces projets méritent réflexion et discernement.
En premier lieu, je me dis quand même que les islandais ont une véritable culture de la protection des milieux naturels. Je connais assez bien le pays et les islandais (ayant logé la plupart du temps chez l'habitant et ayant eu avec eux maintes discussions passionnantes), et je crois pouvoir dire que nulle part ailleurs dans le monde je n'ai rencontré une "culture de la protection de l'environnement" aussi marquée.
Il y a plusieurs exemples où le gouvernement islandais a fait des choix courageux, privilégiant la préservation des milieux naturels plutôt que le développement économique à n'importe quel prix. Je ne pense pas que beaucoup de gouvernements européens ou américains puissent se vanter d'en avoir fait autant !
Par ailleurs, je réfléchis par rapport à ce que je sais de l'histoire et de la culture de ce pays ... Je me dis que pendant si longtemps, l'Islande a été une terre de souffrance, de misère et d'émigration ! En quelques décennies, les islandais ont su, grâce à des qualités morales exceptionnelles et à un travail acharné, en faire un pays moderne où l'on vit bien, où le niveau de vie est un des plus élevés de la planète, où le niveau de développement économique, sanitaire, social et culturel constitue un modèle pour bien des états ...
Alors aujourd'hui, les islandais sont conscients de détenir un patrimoine naturel parmi les plus beaux et les mieux préservés du monde, mais est-ce que, au nom de cela, on doit leur demander de limiter leur niveau de vie et de faire de leur pays une réserve naturelle pour la seule distraction des touristes du monde entier ?
Les Islandais ont beau être les champions de la "culture de la nature", ils estiment aussi dans leur grande majorité avoir à présent le droit de profiter des (maigres) potentialités de leur pays pour parvenir à un meilleur mieux-vivre.
Certains islandais (et assez représentatifs) nous ont dit qu'ils étaient très fiers de leur extraordinaire patrimoine naturel et déterminés à le préserver, mais qu'ils ne voulaient pas pour autant que cela constitue une entrave trop "bloquante" au développement. Un soir (que dis-je ... jusqu'à 1 h du matin) nous avons eu une discussion passionnante sur ce thème avec deux islandais dans une ferme près d'Husavik.
Dans ce pays aux conditions naturelles rudes et démuni de presque tout, les potentialités naturelles ne sont pas si nombreuses ... L'énergie en est une majeure, assurément ! (je veux dire l'énergie propre, bien sûr, celle de l'hydro-électricité et de la géothermie, pas celle du nucléaire et du pétrole, comme chez nous !). Actuellement, seulement 17 % du potentiel hydro-électrique et geothermique sont valorisés.
Alors oui, c'est sûr, les dix ou vingt années qui viennent vont miser sur la valorisation de ce fantastique potentiel énergétique propre. Bien sûr, certains sites naturels vont être impactés et les deux decennies à venir vont donc être cruciales. Il y aura des choix à faire et ces choix devront être faits de manière raisonnée.
Je pense que la "culture de la nature" qui est si forte en Islande saura jouer un rôle pour modérer les ambitions de certains affairistes, mais cela ne suffira pas toujours, vraisemblablement ...
La farouche indépendance de l'Islande (dûrement conquise comme chacun sait) saura sans doute aussi peser dans la balance. Les investissements étrangers en Islande sont sévèrement encadrés et assortis de garanties et d'obligations majeures pour les investisseurs. L'Islande n'est pas ouverte, ni offerte, et en tout cas elle ne se donne pas sans contreparties.
Par tradition et pour des raisons historiques douloureuses (cf. leur période danoise !), les Islandais détestent plus que tout se voir imposer depuis l'étranger des manières de faire et de penser ... Ils en ont trop souffert, ce sont vraiment à fond des "Gens indépendants" (comme le dit le titre du célèbre roman de Halldor Laxness qu'il faut absolument lire et relire - avec "La Cloche d'Islande" - pour comprendre cet aspect de la mentalité islandaise).
Enfin, quand je vois en été ces groupes de protestation, ces "sit-in", ces manifestations (orchestrées depuis l'étranger) autour du site de Karahnjukar, je me dis qu'il est bien difficile de se poser en donneurs de leçons pour la protection des milieux naturels en Islande quand on vient d'un pays européen ou des Etats-Unis !!! Les islandais dans leur ensemble sont littéralement horrifiés par ce que nos gouvernements (de tous bords) ont fait et font des milieux naturels !
Enfin, l'Islande, consciente des dangers d'une économie fondée sur un petit nombre de secteurs (cf. la pêche et les industries liées) a entrepris dans tous les domaines une démarche de diversification. Le proverbe "Ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier" est souvent cité en Islande !
Alors, en même temps qu'elle se lance dans une meilleure valorisation de son potentiel énergétique propre, elle se tourne résolument vers d'autres formes de développement, notamment la matière grise et les hautes technologies, pour sécuriser et conforter son développement. Un étonnement de ma part en juin dernier, à Isafjördur, "village-métropole régionale" (4500 habitants !) de la région des fjords du Nord-Ouest, de voir dans cette toute petite ville plusieurs sociétés de haute technologie leaders internationales dans leur domaine (micro-appareillage médical implanté, électronique et informatique embarquée pour la pêche, notamment) !
Dans le domaine de l'énergie, l'Islande est bien sûr le leader mondial dans le secteur de la géothermie. Elle vient même, en 2005, de se voir confier la supervision technique des programmes de l'Unesco dans ce secteur au niveau mondial.
Même chose (leader mondial) pour ce qui concerne la recherche appliquée pour l'utilisation de l'hydrogène en tant que carburant. Déjà, depuis 2005, les premiers bus du monde fonctionnant à l'hydrogène sont en service dans les rues de Reykjavik. Des expériences sont lancées pour la propulsion à l'hydrogène de grands chalutiers.
En 2040, l'Islande prétend être parvenue à ce que 90 à 95 % de ses besoins totaux en énergie soient satisfaits par des énergies renouvelables, et sans aucun recours au nucléaire. A terme, l'Islande sera peut-être le premier pays au monde à se passer complètement du pétrole.
Alors : "Merci", dit la planète ! "Merci l'Islande", car être propre chez soi, c'est aussi ne pas salir la maison commune, n'est-ce pas? ... celle que nous lèguerons à nos enfants, avec notre couche d'ozone bousillée, nos déchets nucléaires quasi-éternels, nos dyoxines invisibles mais perfides pour la programmation cellulaire des générations à venir, nos métaux lourds et nos radio-éléments artificiels introduits dans la chaîne alimentaire ... et qu'on retrouve jusque dans l'arctique, jusqu'aux filets des saumons sauvages des rivières islandaises car le monde est un village et la pollution n'est pas arrêtée par les frontières ni par les océans ... hélas !
Qu'a fait l'Islande jusqu'ici pour empoisonner les autres ? On a beau chercher, on ne voit pas trop ... (à part quelques poussières volcaniques, peut-être !)
Et que fait-elle qui puisse nous inspirer en bien ? Pas mal de choses, même si tout n'est pas transposable bien sûr !
Alors voilà, pour contribuer au débat et pour résumer spontanément et un peu en vrac mon point de vue. Chacun s'émerveille (

et moi donc !!!! ) devant ses grandes étendues sauvages, mais je pense qu'il y a plusieurs façons d'aimer l'Islande. En la comprenant en profondeur, on doit pouvoir faire confiance aux islandais pour aboutir à un compromis acceptable entre " la réserve d'indiens " que souhaitent certains et " l'enfer de la Ruhr " qui n'est pas près d'atteindre le pays de " Ís og eldur " ...

Chris.